Paix sur la terre !

Message de Noël 2025

Cet automne, grâce à des amis, j’ai eu la chance de découvrir le Monte Gargano, centre de pèlerinage chrétien. Des légendes relatent les premières apparitions de l’Archange Saint Michel en Europe dès le 5e siècle. Le site naturel, situé dans l’éperon de la botte de l’Italie, est magnifique : la petite ville de San Angelo couvre le sommet de montagnes rocheuses accidentées, qui surmontent une mer encore turquoise en automne. Dans la ville s’ouvrent des escaliers qui descendent vers un dédale de couloirs aménagés, et conduisent à la vaste grotte qui abrite des statues et anciennes représentations de l’Archange. San Giovanni Rotondo où a vécu Padre Pio qui attire aussi des foules de pèlerins, est toute proche.

Nous y étions dans les jours autour de la Saint-Michel, le 29 septembre. Comme chaque année, les pèlerins se pressaient pour suivre les processions traditionnelles. On peut être tout d’abord irrité par la foule, dubitatif en découvrant les boutiques de tourisme religieux, avec les collections de statuettes de l’Archange ou de Padre Pio, les babioles et restaurants, tout ce « commerce du temple » habituel dans les lieux de pèlerinage. Mais j’ai pu aussi percevoir la vénération qui imprègne les lieux, un désir profond et sincère de s’approcher du sacré, du Divin. Des personnes prient, chacune à sa manière : recueillies en silence sur un banc, en participant à une messe, en accomplissant un rite devant une statue, en allumant une bougie (actuellement, électronique !).

Au retour, dans le bus qui menait à l’aéroport, nous avons pu avoir quelques conversations avec des pèlerins venus de France. Des regards brillaient de joie : une maman et sa fille ont pu embrasser l’épée d’or de Michael et recevoir une bénédiction, importante pour elles ; un homme jeune avec ses parents venus de Thaïti, qui ont consacré les quatre semaines de leur voyage en Europe pour se rendre avec lui à Lourdes, Assise, puis au Mont Gargano et à San Giovanni Rotondo, revenaient comblés de ces jours intenses. 

En visitant le Gargano, j’avais à première vue d’autres buts, comme de  percevoir ce qui vit dans ces sites naturels, chargés de la spiritualité chrétienne et préchrétienne –  puisque le Monte Gargano était déjà un lieu de culte antique. Je tentais de ressentir l’esprit de l’Archange Michaël en étant moins attachée au lieu lui-même, car je crois que son esprit peut vivre en chacun. Mais au fond, je me sentais en lien avec la recherche de ces pèlerins. Dans ces quelques conversations, j’ai rencontré des personnes de différents âges et milieux, simples et souriantes, ouvertes à l’échange. Nul ne peut sonder, et surtout pas juger le cœur d’un autre, mais il y a quand même des choses que l’on peut pressentir… J’ai pu rencontrer, je crois, des personnes qui, comme moi, se savent imparfaites, ou plutôt en transformation, et qui cultivent l’idéal représenté par le Christ. Cet idéal que l’on peut caractériser de différentes manières, en particulier par les valeurs humanistes de justice, de vérité, de liberté et d’amour.  

Ces pèlerins sont rentrés chez eux, comme moi, où je retrouverai ma communauté, qui fait partie d’un mouvement chrétien discret en nombre. Il existe une grande diversité de mouvements chrétiens dans le monde. Certaines personnes se plaisent à insister sur le fait que le Christianisme serait en recul et que les églises se vident. D’autres sont nostalgiques d’un « christianisme des origines » et déplorent qu’au fil des siècles, cette force se serait perdue, corrompue… Sur le plan institutionnel, la corruption, déjà dénoncé par les Protestants, est indéniable : comme dans toute institution humaine, aux niveaux du pouvoir se déchaînent des instincts peu reluisants, qui pervertissent jusqu’aux idéaux les plus nobles.

Mais l’Église des débuts était-elle si idéale ? D’une part, les récits des Actes des apôtres pourraient donner l’impression que la première communauté chrétienne était très grande : cinq mille hommes auraient demandé le baptême le jour de la Pentecôte… Les nombres, dans les écrits sacrés de cette époque sont symboliques : cinq est le nombre de l’homme ; mille signifie « beaucoup ». Dans la réalité quotidienne,  au cours des premiers siècles, les premiers chrétiens se réunissaient en petites communautés à Jérusalem, Antioche, Alexandrie, accueillis dans les maisons de leurs membres, pour prier et partager le pain.

« Ils étaient assidus à la prière, étaient un seul cœur et une seule âme et ils mettaient tout en commun. » Là aussi on pourrait aussi avoir l’impression d’une harmonie, aujourd’hui perdue. Ces paroles représentent plutôt un idéal. Car dès les débuts, il suffit de poursuivre la lecture des Actes et les lettres de Paul pour le constater, il y eut des dissensions et des exclusions : entre Pierre et Paul, entre les « Juifs » et les « Grecs », etc. C’est au travers de ces épreuves, grâce à la persévérance portée par l’idéal décrit dans les Actes, que le christianisme s’est répandu, puis ancré, tout d’abord autour de la Méditerranée. Chaque communauté priait, échangeait dans sa langue, se choisissait un Ancien – l’évêque – pour la représenter et faire le lien avec les autres communautés. Certaines liturgies et enseignements se développaient suivant les nuances culturelles locales ; des solidarités concrètes s’organisaient, en particulier l’aide aux personnes en difficulté. Peu à peu, des églises furent construites ; dans les déserts ou des lieux isolés, des monastères furent fondés. C’est donc de manière décentralisée, par des petites communautés, parfois de quelques-uns, dans une diversité de pratiques, de liturgie et d’enseignements, que le christianisme s’est enraciné au fil du temps. 

Au 4siècle, suite à la conversion l’Empereur Constantin, l’évêque de la ville de Rome a été proclamé chef de la véritable foi, la seule foi juste, « catholique » – « universelle». En recherchant des alliances politiques, cette institution centralisée, romaine s’est imposée au fil du temps. Un premier grand schisme eut lieu quelques siècles plus tard, avec le christianisme oriental orthodoxe, resté jusqu’à aujourd’hui décentralisé, puis avec le Protestantisme, lui aussi décentralisé. 

En dehors comme au sein des Églises officielles, partout dans le monde, des courants chrétiens les plus différenciés se sont développés sous l’impulsion de personnalités marquantes. Portée par une tradition très riche, l’Église catholique reste, aujourd’hui encore, une puissance politique et religieuse. Cependant, malgré ce qu’elle pourrait parfois prétendre, elle n’a jamais été l’unique dépositaire de « la véritable foi, du « seul baptême » chrétien. Aucune institution ne peut posséder le Christ, et personne ne peut juger qu’un autre, une autre communauté serait ou non chrétien-ne. C’est à chacun d’en décider pour soi-même, en toute liberté intérieure. 

Malgré toutes les dérives totalitaires et dogmatiques, il me semble que chaque Église, chaque mouvement chrétien a eu, et a encore aujourd’hui son rôle à jouer, en particulier pour la transmission d’une certaine tradition et la pérennité de formes liturgiques. C’est ce qui a permis notamment de multiples services d’aide aux plus démunis et le développement de toute la richesse artistique occidentale depuis le Moyen-âge, par l’architecturale, la musique sacrée, les arts plastiques et la peinture de tableaux ou de fresques. Mais les tendances dogmatiques – « Hors de l’Église pas de Salut !», et les collusions entre politique et religion n’ont rien à voir avec l’enseignement du Christ, ils s’y opposent même : « Mon royaume n’est pas de ce monde ».

Les institution changent, elles sont passagères. Ce qui subsiste, ce qui fonde réellement le christianisme dans son essence la plus pure, c’est toute cette « substance » humaine positive, cette recherche honnête et sincère qui vit dans le cœur d’individus et de communautés à taille humaine. « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux ». Depuis les tout débuts du christianisme, il en est ainsi : l’impulsion du Christ se transmet de cœur à cœur, d’individu à individu, au sein de petites communautés. Ce que l’on peut pressentir comme un « christianisme des origines » est encore actuel, et il renaît, toujours et à nouveau, dans chaque prière sincère, dans chaque liturgie accomplie avec conscience, dans chaque recherche de vérité, entre les personnes de chaque groupe d’échange autour des évangiles.

Cette vie spirituelle reste le plus souvent simple et discrète, sans emphase, elle n’occupe que rarement les devants de la scène. Mais elle est réelle, et elle agit partout dans le monde, grâce à toutes ces personnes qui, portées par leur foi, tentent, tant bien que mal, toujours et à nouveau, d’incarner leur idéal jusque dans le quotidien, jusque dans leur travail et leur vie de famille. Les persécutions de chrétiens, hélas, encore actuelles dans certains pays, ne font que renforcer cette substance spirituelle, par-delà la mort qui n’est une frontière qu’en apparence.

Le Mal a tendance à hypnotiser, en particulier à travers toutes les informations dont nous sommes bombardés quotidiennement, où sont décrits en long et en large les comportements les plus pervers, l’accaparement des richesses par quelques-uns, les horreurs de la pédo-criminalité perpétrés en toute impunité, la tentative d’asservissement des peuples par la manipulation, etc. En réalité, la mégalomanie perverse sans aucune moralité n’est le fait que d’une toute petite partie de l’humanité. L’immense majorité est, je crois, de bonne volonté.

En chaque personne qui porte l’idéal du Christ, qu’elle se nomme ou non « chrétienne », grandit une force de vie, de germination d’une humanité nouvelle. Même si, sur le plan extérieur, politique et économique, le monde pourrait sembler être sous l’emprise du mal, rien ni personne ne peut empêcher cette éclosion d’humanité. C’est un mouvement aussi discret, aussi lent et silencieux, et en même temps aussi réel que la germination et la croissance de chaque brin d’herbe d’une prairie, de chaque arbre dans une immense forêt. 

« Paix sur la terre aux êtres humains de bonne volonté !» Telle était l’annonce des anges aux bergers à Bethléem. Elle reste valable aujourd’hui : toute personne de bonne volonté peut ressentir, sur terre déjà, une paix qui n’est pas de ce monde.

À suivre : Lire ensemble l’évangile.

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