Lettre ouverte à Michel Onfray

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Monsieur,

J’écoute regulièrement de vos interventions à France culture, et lors de précédentes vacances, j’ai découvert avec grand intérêt votre cours complet (sur CD) à propos de Nietzsche.

Récemment, j’ai écouté sur France culture « Théorie du fumier spirituel » et là, j’ai été étonnée et finalement choquée. Premièrement, je ne retrouve pas, dans votre examen de la pensée de Rudolf Steiner, la patience et l’ouverture d’esprit que vous avez par rapport à Nietzsche. Vous insistez en général sur l’importance de situer toute la pensée en lien avec la biographie de l’auteur – c’est justement un des points qui rend ce long cours sur Nietzsche tellement vivant. Et bien entendu, pour pouvoir juger d’une pensée – surtout quand on prétend la critiquer en public -, c’est la moindre des choses que d’avoir pris connaissance de l’ensemble de l’œuvre de l’auteur.

Pourtant, par rapport à Rudolf Steiner, vous avouez n’avoir consulté que deux livres, sur plus des 300 ouvrages qui recensent ses écrits et conférences – passant au-dessus de l’avertissement, en début de ces livres, qui précise que pour pouvoir juger de leur contenu, il est nécessaire de connaître au moins les ouvrages de base, qui sont renseignés. Vous ne développez ni sa biographie, ni le contexte d’époque de sa pensée et vous plongez directement sur des détails qui de fait, hors contexte, peuvent paraître farfelus : méthode de dénigrement classique et très facile. Comme un refrain, vous répétez que Rudolf Steiner utilise une « parole performative » – ce dont vous ne vous privez pas vous-même, par exemple : « une spiritualité ne peut pas être scientifique ». Puisque vous n’avez pas pris connaissance des ouvrages de base en question, vous ignorez sans doute que Rudolf Steiner a répété qu’en aucun cas, il ne demande à ses auditeurs de le « croire », mais de prendre ce qu’il dit comme les résultats de sa recherche, en invitant chacun à confronter ces résultats à sa propre expérience.

D’autre part, je n’arrive toujours pas à comprendre que vous ne parveniez à nommer qu’une seule maison d’éditions (Éditions anthroposophiques romandes) pour les traductions françaises de Steiner : il existe aussi les Éditions Triades et Novalis (les deux à Paris), pour ne citer que les deux plus importantes. Au fait, Rudolf Steiner n’avait-il pas aussi écrit un livre sur Nietzsche, notamment des propos dans lesquels vous vous retrouviez assez bien ? Ce manque d’information est très étrange de la part d’un intellectuel, disposant de tous les outils de recherche actuels.

Mais il y a plus grave que vos sarcasmes à propos du vin biodynamique et votre absence de bonne volonté pour comprendre une logique qui vous est étrangère. Vers la fin de cette conférence, vous effleurez d’autres applications pratiques de la pensée de Rudolf Steiner, notamment les écoles R. Steiner-Waldorf, en évoquant un « danger » pour la société. Pouvez-vous donner des éléments précis et fondés, sur lesquels reposent cette grave accusation ? Il me semble qu’il y a déjà eu en France suffisamment d’études et de contre études prouvant la non dangerosité de cette pensée et de ces applications, en particulier les résultats positifs de cette pédagogie (voir par exemple : Rene Barbier http://www.barbier-rd.nom.fr/journal/spip.php?article1974).

Utilisant le pouvoir et l’impunité que vous donnent votre large audience, vous lancez, par de tels propos, bel et bien une rumeur à propos de Rudolf Steiner et des pratiques qui découlent de sa pensée. Or les sociologues ont révélé à quel point une rumeur peut faire des dégâts dans une société, le cas échéant, jusqu’à la stigmatisation de certains courants marginaux, voire la tentative de leur éradication par la violence.

Mais ce qui est rassurant, c’est que les philosophes ultra matérialistes, dont vous êtes un représentant, s’avèrent être actuellement une arrière-garde, du fait des avancées les plus récentes de la science. Car elle-même ouvre des perspectives assez nouvelles, en laissant entrevoir que l’on est loin de couvrir toute la réalité avec une démarche positiviste et rationaliste, qui ne reconnaît que la « matière » comme « vraie »… Car qu’est-ce que la matière, en fin de compte ?

Avec mes pensées respectueuses,

Françoise Bihin

À propos de la biodynamie en tant que telle, une lettre ouverte à Michel Onfray peut être trouvée sur la page suivante : http://www.bio-dynamie.org/presse/

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